KUWAIT CITY– Parce qu’ils ont du talent, certains footballeurs Africains sont considérés comme des légendes. Ils sont mémorables en raison de leurs personnalités uniques. Titi Camara est, indéniablement, l’un d’eux.
Mais comme dans les matchs décisifs, il y a un regret profond et piquant pour un joueur qui ne méritait pas de perdre ; on regrette aussi qu’un joueur comme Titi Camara, ait terminé sa luisante carrière sans remporter de trophées. Un attaquant, un meneur, un homme qui a toujours voulu porter l’équipe nationale de Guinée au pinacle du football africain. Le destin, nous dit-on, ne trahit jamais.
L’ancienne perle du football guinéen qui évolue désormais sur les pelouses politiques vient d’être primée par le nouveau président Guinéen pour avoir contribué à son élection. Désormais, appelez le M. le Ministre des Sports. Une première en Afrique pour un sportif professionnel.
Par un fait céleste, au moment où l’Afrique désignait le légendaire braconnier Cherif Souleymane comme Ballon d’Or Africain en 1972, est né dans la famille Camara, celui qui va être affectueusement surnommé «Mon tout petit» par sa mère et qui s’est ensuite retrouvé mal prononcé et limé en «Titi» par sa sœur.
Les années se suivent et Aboubacar Sidiki (Titi) Camara, déjà un joueur réputé de la rue, progresse lentement. En 1985, il se bat avec les jeunes piliers de l’équipe nationale cadette, entrainée par Cherif Souleymane, pour se qualifier au Mondial des Cadets en Chine. Ces piliers sont Salam Sow, Mohamed Sylla ‘Socrates’, Morlaye Soumah ‘Colovati’, Ousmane Fernandez, Salifou Koita, Edgar Babara Sylla ….etc. Ils se qualifieront brillamment et atteindront la demi-finale de ce tournoi planétaire.
Mais si jamais vous vous demandez ce qui motivait Titi sur les gazons, ce n'est pas seulement de jouer et d'essayer de marquer des buts. Mais cette envie pérenne de "leur" montrer ses prouesses. Il s’agit là de certains dirigeants de la Fédération guinéenne de football (Feguifoot) qui l’ont retourné à l’Hôtel Gbéssia (Conakry) quand l’équipe cadette s’apprêtait à s’embarquer pour ce Mondial chinois, en 1985. Il quittera ses coéquipiers, le regret dans le cœur, la confusion sur la face, pensif à ses bonnes prestations, quelques jours plutôt, pendant le stage du groupe au Ghana. Mais selon un de ses coéquipiers d’alors, témoin de la scène, le choix semblait logique : "Par rapport au niveau des autres tel que Salam Sow, Titi n’était pas encore celui qu'on a connu après le Centre de Formation à Saint-Etienne. Son physique et sa technique étaient bien en dessous des autres", révèle-t-il.
Pourtant, la trajectoire de la carrière de Titi semble décidément prendre son envol à cet instant là. Cet événement l’a appris que le statut de meilleur se gagne, se mérite. Il décide alors d’entrer au panthéon des gloires du football de son pays. Le chemin est difficile. Déterminé et sûr de son aptitude, il s’accroche à son rêve.
Aujourd’hui, fier de son parcours, il le résume : "Même avec l'équipe nationale au départ on doutait de mes qualités ; enfin, tout le monde a vu."
Dans ce long parcours, il a passé par les championnats français (Saint-Etienne, Lens, Olympique de Marseille et Amiens), anglais (Liverpool et West Ham), saoudien (Al-Ittihad Jeddah) et qatari (Al-Siliya) avant de raccrocher les crampons en 2006.
Dans ces clubs, l’enfant de Kankan a séduit les foules, écœuré ses adversaires par sa vitesse, sa technique déroutante et ses dribbles chaloupés. Il connaît ainsi dix ans de très haut niveau, avec comme apogée cette belle saison 1999-2000 passée à Liverpool. À l’époque, à son meilleur niveau, il était l’équivalent humain d’un guépard : rapide et poussé par la faim d’agiter les filets adverses.
Sur le site du club, Titi fait partie des 100 joueurs qui ont ébranlé l’histoire de Liverpool. Dans son profil, les dirigeants ont tenu à rappeler son grand dévouement pour les Reds et notamment son but de la victoire inscrit le 27 octobre 1999 contre West Ham avant de fondre en larmes, vaincu par les émotions. La joie de son équipe a vite tourné en confusion. Titi avait appris le décès de son père la nuit précédente ; et même si, personnellement, cela a été une perte immense, il a insisté à jouer, étant l'unique attaquant disponible pour ce match.
Footballeur patriote se sentant très proche de ses compatriotes, Titi éprouve une réelle amertume face à leurs souffrances. Ainsi, entre autres actions humanitaires, en 2001 à Kankan, il a déboursé 60,000 euros pour la construction d'un centre hospitalier.
Mais si le joueur peut être fier de sa carrière, l’homme ne laisse pas indifférent. Partout où il est passé, les gens ont gardé de lui l’image d’un être sensible, droit, aux prises de positions tranchées. Surtout lorsqu’il s’agissait de défendre certains principes. Il a toujours été plus ferme lorsqu’il évoquait l’inconstance et parfois l’inconsistance du football guinéen.
En 2007, Bruno Bangoura est réélu, sans adversaire, à la tète de la Feguifoot. Lui et ses collègues ayant recalé la candidature de Titi au poste de président de la Feguifoot sous prétexte qu’il n’avait pas 'la formation intellectuelle nécessaire' pour prétendre au poste. Perdant ? Non. Empêché d’être candidat ? Oui, mais pas dans toutes les batailles et, sûrement pas dans la vie. Ironie du sort, aujourd’hui, il les coiffe tous, y compris Cherif Souleymane, actuel DTN (directeur technique national de la Guinée). Le destin, à dire vrai, ne trahit jamais.
Mais pour celui qui lit principalement des ouvrages religieux et respecte bien les valeurs humaines avec le même sérieux qu'il s'affiche en jouant au ballon, il n’est point question de se venger. Certains membres de la fédération nous ont assurés hier que Titi est venu avec un esprit d'ouverture vers eux et qu'ils n'ont pas peur de "représailles" et que la collaboration est bien partie. ’’On a aucun problème avec le Département [NDLR : Ministère des Sports] et mieux tout va bien entre Titi et moi’’ affirme Bruno Bangoura, actuel président de Feguifoot.
Par ailleurs, le pays manque d’infrastructures sportives adéquates. Le niveau du championnat local des différentes disciplines est faible. Tandis qu’en Afrique, cela fait désormais plus de 30 ans que chaque équipe, avant d’affronter la Guinée, replonge dans les archives et expliquent aux jeunes, fans de Maradona, Weah, Zidane, Messi ou Eto’o, qu’aux temps des légendaires du Hafia Conakry, triple champions d’Afrique, les Guinéens dominaient le football africain mais qu’aujourd’hui, une défaite contre eux est inadmissible (même en amical). En Guinée, par contre, tous les ans, on fait parler les archives et on explique aux plus jeunes que la Guinée est l'une des meilleures sources de talents footballistiques d'Afrique et que le Syli National aime… surprendre : bien entendu notre sélection ne fait plus peur !
Autrement dit, l’objectif premier pour Titi ne doit pas être de rester en place plus de trois mois, le temps qu’il avait pu faire au job de sélectionneur de l’équipe nationale, mais de restituer sa luisance d’antan au football guinéen en particulier et, à tous les sports en général.
Bref, après avoir prouvé son talent sur les gazons, Titi doit maintenant prouver à ses nombreux thuriféraires et détracteurs qu’on peut être ministrable sans être diplômé.
Mais, comme il y a des écueils entre le talent et l'accomplissement, nous lui souhaitons plein de réussite.
/___Moysekou.
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