Les gens peuvent subir les horreurs de la guerre de bien des façons, comme fuir vers des terres inconnues afin de sauver leur vie, comme Fifi et ses compatriotes l'ont vécu.
Nous sommes à Macenta, en Guinée et c'est le début du
siècle. Cette ville carrefour abrite de nombreux réfugiés libériens, léonais et
ivoiriens qui ont échappé aux atrocités de la guerre dans les pays voisins.
L'ambiance du week-end permet à chacun de s'évader et
d'oublier son passé douloureux, ne serait-ce que pour quelques heures. Le
soleil de l'après-midi refuse de céder à l'insistance des nuages sombres qui
semblent annoncer une averse imminente. Néanmoins, le mini-concert de la musicienne
Fifi bat son plein en plein air, près de la place Dabanani, qui est un endroit
chic et très vivant de la ville.
Fifi est une chanteuse talentueuse
Son talent, sa voix, sa beauté, ses paroles et ses pas
de danse sont indéniables. Elle est tout simplement la perfection. Ses chansons
sont comme des histoires à part entière. Les paroles, l'ambiance et
l'atmosphère sont magnifiques. Si sa voix est absolument remarquable, c'est sa
façon de s'exprimer qui la fait ressortir encore plus. Elle ne craint pas de
repousser les limites ; elle trouve toujours un moyen d'exprimer sa vision
créative et de défier les stéréotypes.
Au lieu de créer un morceau ennuyeux chantant
les louanges de riches donateurs, elle résume le sentiment et crée une
œuvre d'art littérale. Son timbre, dans chaque chanson, devient de plus en plus
angélique et est très apaisant.
Une prestation parfaite, un public conquis
Le décor attrayant à la fin du mini-concert, où les
gens applaudissent Fifi, témoigne de l'étrange relation entre les musiciens et
leurs auditeurs et fans.
À la fin du concert, Fifi déverse son âme. Sa voix
mélodieuse se mêle parfois à ses cris rythmés, qui semblent artistiquement captivants
mais qui sont en réalité plus profonds et plus significatifs.
Cette chanson calme mais déchirante raconte l'histoire
douloureuse d'un départ brusque aux conséquences graves, d'un exil forcé ou
d'une imposition insupportable. Le mal, la douleur, la complexité - tout cela
lui est renvoyé dans le miroir. Le public est juste là, à applaudir.
Les artistes partagent leur souffrance
Les artistes communiquent souvent leurs luttes et les
aspects les plus sombres de la vie à travers leurs œuvres, et nous
applaudissons leur honnêteté. Ils nous font sentir compris et pas seuls, mais
nous ne pouvons rien faire pour soulager leur douleur.
À certains moments de la performance, les fans
deviennent presque comme un vide dans lequel l'artiste hurle. On se contente
d'applaudir pendant qu'ils restent debout ou assis avec leurs émotions, leur
lourdeur.
C'est une dynamique intrigante que beaucoup d'entre
nous ne comprendront jamais complètement. Tout ce que nous pouvons faire, c'est
montrer notre affection et faire savoir à l'artiste que nous le pensons
vraiment.
L'exil, un lourd fardeau à porter
La vie en général n'est pas facile, pas plus que celle
de Fifi.
Forcée de fuir la guerre qui ravage son pays, Fifi se
sent distante, blessée et vaincue, tant moralement que physiquement. Son
éloignement n'est pas d'un lieu, mais plutôt d'un tas de choses – la nature
verdoyante, la populace pleine de vie et de gentillesse, les fêtes, les activités
économiques florissantes, le bienêtre, la joie de vivre…etc.
Dans une telle situation, une personne peut se sentir
contrainte, frustrée, voire isolée, comme si elle vivait à une autre époque que
la sienne, sans personne à qui parler, ou partager avec elle la douleur de sa
situation. Ou encore comprendre qu'elle contient désormais son état
d'asservissement et noue avec lui une relation incompréhensible.
Les gestes de gentillesse, des remèdes utiles
Son éloignement de son environnement natal provoque de
douloureux souvenirs gémissants. Quant à son pays, il ne mérite pas de figurer
sur la liste des terres en conflit. Sa patrie était, avant le déclanchement de ce
conflit meurtrier, un espace rempli du parfum de l'humanité perdue,
éclairé par des bougies dont la fumée porte une senteur de tolérance. Un rare
sentiment d'intimité imprégnait son atmosphère, enveloppé dans les valeurs du
véritable amour.
Pour elle, la patrie n'est pas seulement la terre,
mais les gens ; pas un joyau ou une ressource naturelle, mais la fraternité et
la coexistence. Peut-être que pour elle, la patrie est la terre, le bien-être
et les droits ensemble, comme elle a entendu un jour un vieux fermier chantonner.
Malgré tout, elle perçoit la présence de son territoire
d'origine dans l'âme de ceux qui remarquent la souffrance et l'injustice, à
travers l'expression de leurs regards et le langage de leur corps.
Et, c’est peu dire que c’est très soulageant.
"Kèlè magni", franchement
Son pays, comme bien
d'autres, ne doit pas être englouti dans les ténèbres de la barbarie, de
l'ignorance, de la corruption et du sous-développement, ni être dominée par la
division et l'intolérance, ni ressentir les coups de feu et les canons.
Cette guerre a contraint le pays dont rêve Fifi à
pleurer chaque jour sur ses ruines et à vivre sous le fardeau de la douloureuse
réalité de sa destruction. Cette contrée, accablée de blessures, de douleurs,
de peurs et de ténèbres, ne ressemble plus au pays qui est gravé dans sa
mémoire.
Le concert se terminait doucement et joyeusement. Fifi
s'arrêta et eut l'air pensive. Puis, après avoir bu une gorgée d'eau
rafraîchissante, elle a fait parler les cordes de sa guitare en fredonnant "Kèlè
magni" (la guerre n'est pas bonne), sereinement, avec un vibrato qui
nous séduit et nous parle.
C’était le clou de la soirée. Kèlè magni !
Waterloo,
Belgique, 18-JAN-2023 @ 10:05 am