Le seul souci de Möbã, c'est le temps !
Le convoi de trois motos et d'une
fourgonnette est descendu en douceur dans une rue étroite et sinueuse à deux
voies du sud de Faracity. Il a traversé des cercles de bambous servant
de potager, une école primaire délabrée et un mini-marché de légumes dont le
sol boueux est jonché de mangues pourries, avant d'atteindre sa destination :
une maisonnette marquée par une porte rouge qui avait captivé l'imagination des
agents secrets du pays.
Les personnes à l'intérieur du véhicule et les motards sont venus de Kibanyi, le redoutable camp militaire de la république bananière. Ils sont venus pour arrêter Möbã, le cerveau présumé des frondeurs clandestins, dont on disait qu'il était à l'origine d'un coup d'État en préparation.
Mais, à l'aube de son 70e anniversaire, Möbã,
mieux connu sous le nom de Djina, n'a montré aucun signe de peur face à ses
visiteurs inattendus. Sereinement, il demanda gentiment à sa femme d'apporter
de l'eau à boire aux visiteurs et les invita à s'asseoir et à se sentir chez
eux.
Le moment semblait déroutant mais lui, qui
avait vécu une adolescence difficile suivie d'une vie d'adulte tumultueuse,
était habitué à ces moments d'incertitude. Il reste imperturbable face aux
défis de la vie, mais il pense que la vie est injuste. Très jeune, il perd ses
parents et s'aventure dans le port de Mossotown où son travail de
technicien électromécanique lui rapporte beaucoup d'argent. Il s'est alors
plongé dans l'ambiance : les filles, l'alcool et le tabac. Cependant, un
diagnostic de son médecin l'oblige à arrêter de fumer. Lorsque ce dernier lui
annonce que ses jours sont comptés à cause du tabac, il se rend compte qu'il
doit maintenant faire face à un redoutable adversaire : le temps.
Vivre au jour le jour est un châtiment
douloureux.
Bien que la prédiction du médecin ait
ressemblé à une bénédiction, plusieurs décennies plus tard, Möbã jouit d'une
excellente santé et d'une hygiène de vie sans faille ; mais au fond de lui, il
ressent la peur omniprésente de ce souci de toujours.
Et, lorsqu'on lui a demandé si la présence
d'une troupe armée dans son enceinte l'effrayait, il a répondu : « On a beau
dire, mais quand on est nu, même au diable, on souhaite la bienvenue », pour
paraphraser le reggaeman Tiken Jah dans son titre, « Tonton d'America ». —
C’est à dire, ici, dit Möbã en croquant son cola rouge, la misère est telle que
même la mort ne fait plus peur à personne. Il se demande pourquoi ils devraient
avoir peur d'une armada alors qu'ils n'ont rien fait de mal.
Mais, il insiste que les habitants de cet
endroit préservent bien leur dignité et leur honneur, malgré tout. La pauvreté,
poursuit-il, ne signifie pas perdre sa dignité ; rien n'est plus dur pour l'âme
que de se sentir humilié, de s'abaisser ou de se rendre insignifiant. Il y a
des moments dans la vie d'une personne où son adversaire est son propre manque
de courage et d'intégrité.
La sérénité du lieu et de ses habitants a
fait croire aux visiteurs lourdement armés qu'ils s'étaient trompés d'identité
du présumé chef des comploteurs, alors ils ont échangé quelques blagues avec
Möbã avant de se retirer tranquillement et de disparaître.
Avant de dire au revoir, Möbã a expliqué avec
humour qu'il n'avait peur que du temps ; le temps de l'ultime aller simple, du
repos éternel.
Waterloo,
25-MAR-2023 @17:53, BELGIUM